vendredi 28 mars 2014

Plains-Chants Pour un lever de terre


« Je suis le brouillard et la savane herbeuse
et les fleurs du désordre »
N. L.


Être au cœur du monde et des rêves comme un Indien avec l’esprit animal et celui de l’arbre, c’est comprendre la poésie.
Qui parle au fond de la poésie de Nadine ? un ancêtre ? le gardien des nuits ? la sentinelle de l’aube ? un surmâle aux ailes de poivre ? ses Genevièves, ses Jeanne d’Arc et autres grandes veilleuses de nuit ? le passeur de l’insolite ? l’arpenteur des grandes chaleurs ? le somnambule étésien. Le « je » affirmé dans ce livre n’est pas celui d’un Rimbaud ou d’un Nerval. C’est un « je » de saison ou l’âme humaine ne peut vivre que dans l’enfance du monde et l’offrande de l’amour. C’est un « je » fait femme. Ce Plains-Chants est un hymne à la femme bergère de nos désirs, une évocation de la nature extraordinairement contrastée. Un fleuve noir dore autour de la terre. Tandis que se clament à l’encan /les mots de tous les dangers d’amour est-ce pour conjurer le mauvais sort du pouvoir mâle ? Nadine est une femme poète à la prière lyrique qui a su capter plus que Viviane les pouvoirs de Merlin l’enchanteur, qui a dicté à Lucifer ses douces volontés.
Ce chant est un chant prophétique qui pourrait trouver sa source onirique dans les runes celtes. Cette poésie annonce les termes du bonheur de vivre. Si renaît de la cendre sèche et chaude et bleue l’or de la bonne nouvelle la terre sera terre de bonheur.
Le poète est une femme arbre, une femme source de l’éternité. Ce livre raconte l’histoire de la femme Lilith d’avant Ève qui apprivoise la danse fauve du monde, les mots violents de l’amour, les feux et les soifs de l’amour fou. Lilith dit : je chasse, je veille, je surveille, je récolte, j’amasse, j’engrange... Elle offre au monde le présent de notre présent toujours recommencé avec ferveur. Ce « je » féminin est impératif.

Il me semble que ce Plains-Chants imagine notre univers avant que la mélancolie ne laisse sur le monde sa part de chagrin car l’oubliance est le lit muet des entrailles, qu’il est un poème païen ouvrant ses portes à la mystique du ciel. Il y a en Nadine une femme sauvage qui parle dans ce livre et qui cherche la paix dans l’amour et le sens des mots dans les veines du langage. Elle est voyageuse dans « les fumures du temps » (Cadou). Du Cendrars est présent dans cette ode par l’ouverture à la lyrique du ciel et de l’amour. Qui est cette épouse qui clame au monde : Plus folle est la chevauchée qui embrasse la sphère entière / plus se resserre l’anneau d’argent / l’invisible qu’il me passe au doigt / sans le savoir à chaque foi ?
Nadine Lefebure revisite le mythe d’Orphée vu du côté d’Eurydice. C’est un « je » de poète inhabituel qui nous est donné d’entendre. Eurydice changée en pierre, en tombe / torche qui vibre sous la bruine / et que les cloches raniment. C’est pour cela que j’y vois du romanesque dans cette poésie altière mais quotidienne, lointaine mais si proche de nos cœurs. Le verre sera notre emblème écrit-elle. Ce verre, c’est le Graal symbolique qui cristallise la force de ce beau poème. Ce chant nous vient du fond des âges. De la querelle amoureuse naît les paradis, les aveux et les récoltes des blés murs. La louve est douce à ses petits / la tourterelle couve ses gants d’or. Le temps du sacré va venir / l’état de grâce unir les païens. La patience, Nadine Lefebure est une femme patience qui abat ses cartes de tendresse, de révolte et d’amour avant l’heure. Ce Plains-Chants unit l’étoffe fraternelle dans la poésie frémissante du temps prise au silence de la nuit.
Le poète est une femme silence, une femme cri qui embrasse toutes les terres du monde et toutes les destinées du monde et l’anarchie des carrières vierges. Le « je » et le « tu » s’ouvrent dans un dialogue serré un terrain d’entente. La mélancolie du XIIe siècle et les neuves inventions du fin’ amor s’invitent dans ce livre. Les joutes d’amour abritent la haute fougère qui engendre la fusion des corps tant va la joie qui s’ouvre sous le poids de la femme.
La femme circule dans cette félicité poétique comme une Ophélie qui nous sourit au-delà de la mort des printemps d’espérance. Ce Plains-Chants aurait pu se titrer L’Amour Fou sans qu’André Breton eût à en rougir. Il est l’alliance du ciel et de la terre, un hymne à la résurrection. Ainsi va ce poème de l’arbre insécable, des fictions fabuleuses et des noces d’or de la mémoire. Nadine Lefebure est une femme temps dont les bras et les regards sont toujours connectés aux terres étoilées de la solitude. La mer et le vent se sont mariés à la source de sa poésie. Ses images et métaphores sont des chambres d’attentions. Dans le recueil De l’hier au demain le poète faisait pénétrer l’homme sirène et la femme centaure dans notre champ de vision. Je suis étonné d’être aux portes d’un chant profond souverain de la nuit et des villes embrasées.


Préface de Luc Vidal pour le recueil "Plains-Chants Pour un lever de terre" de Nadine Lefebure


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire